Le Petit Chaperon Rouge vu par…

Raconter l’histoire du point de vue  :

du Petit Chaperon Rouge :

Cher journal, hier ça a été une journée éprouvante ! Comme d’habitude maman a voulu que je porte à Mamifo quelques courses qu’elle avait faites et la traditionnelle galette que mamie déteste et qu’elle distribue aux oiseaux et chiens qui traînent dans le quartier. Il y a un vieux berger allemand pelé qui rôde toujours dans les parages. Il pue et fait peur aux oiseaux, je le déteste. Il adore la galette de maman, c’est pour ça. Bref, hier après avoir gambadé, couru après de beaux papillons, avoir croisé Loumoche (c’est le surnom que j’ai donné à la bête) qui s’approche de mon panier la bave aux babines, j’arrive enfin chez Mamifo. Mais je ne l’entends pas chanter comme d’habitude. Je l’appelle plusieurs fois et je comprends qu’elle est dans sa chambre, au lit, malade. Pauvre grand-mère ! Son visage est tout déformé par la fièvre, son dentier est tombé sur l’oreiller, et le pauvre sourire édenté qu’elle m’envoie fait pitié. Ses yeux sont agrandis par la fièvre. Je m’empresse de la réconforter, lui donne de l’aspirine et une bonne tisane de chélidoine. Je reste près d’elle et lui chante quelques chansons. Un voisin passe, c’est le père Lachasse. Il promet de passer chez le docteur Lapique pour le prévenir. Rassurée, j’embrasse ma grand-mère, je dois rentrer avant la nuit. En chemin je balance la galette et le beurre à ce benêt de chien-loup qui me lorgne presque en souriant. Misérable… À demain cher journal, j’espère te donner de bonnes nouvelles de Mamifo.

du panier :

C’est pas vrai ! Je viens d’entendre Madame Mère dire à la gamine d’emporter les provisions à Mère-Grand pour l’heure du thé. Je suis déjà allé au marché ce matin, moi ! Ça suffit pour aujourd’hui, je vais encore avoir mal à mon osier qui vieillit. Et puis avec la gamine qui court tout le temps, elle va encore me trimballer dans tous les sens. Aïe, aïe, aïe ! Qu’est-ce qu’elle emporte aujourd’hui ? Hum ! Une belle galette. Hum ! Ça sent bon. Oh ! Un petit pot de beurre. Bon, pour l’instant, pas trop chargé, y a plus qu’à démarrer. Allons-y jeunesse ! et que je cours ! Et que je saute ! Et on s’arrête, ouf ! Tout près des mûres, j’ai droit à une aire de repos sur la mousse. Heureusement qu’elle aime les mûres, la gamine, et que cette forêt bien mal entretenue est couverte de ronces. Y a aussi des noisettes en ce moment, belle saison. J’allais faire une petite sieste sur la mousse, j’entends des pas, c’est pas un écureuil, celui-là ! Un gros museau, de grandes dents, de grandes pattes griffues, et en plus il fait la causette. Mais qu’est-ce qu’il me fait peur !

du chemin :

Ce matin d’automne n’est pas plus frisquet qu’un autre. Le brouillard léger se lève doucement, le soleil aussi, encore une journée sans histoire en vue. Un chasseur, ou un brigand, malpoli, est passé ce matin, nord – sud, puis plus rien. Je m’ennuie. Quelques heures plus tard soleil de midi mais pas très haut c’est l’automne, voilà que j’aperçois au loin un point rouge qui en s’approchant s’avère être une personne, puis plus précisément un enfant, tout de rouge vêtu : ses petits petons me sont doux au contact, je voudrais l’embrasser, mais elle semble pressée, et la tête ailleurs, tellement que je n’ai pas pu lui parler. Voici que maintenant je la suis de dos : où va-t-elle ? Pas d’hésitation possible, une seule maison dans cette direction de ma voirie, celle de l’aimable grand-mère qui chaque fois qu’elle le peut encore me fait le plaisir de quelques pas, de moins en moins, et le rude contact de ses gros sabots. Mais si affectueux. Et puis j’aime rendre service. Je suis heureux d’avoir contribué d’un bout à l’heure à cette très heureuse histoire familiale.

Comme l’enfant porte un panier et que j’ai humé fugacement à son passage une odeur de brioche, ou quelque chose comme ça, je me dis qu’elle porte un gâteau, que cette vieille femme est sa grand-mère et qu’elles vont passer un joli moment. J’attends avec excitation le moment du retour, espère que ce soit avant la nuit, à cause du loup qui rôde par ici.

du loup :

Pour moi qui venais d’avoir trois louveteaux il fallait s’enfoncer dans la forêt profonde à la recherche d’une proie. Au fil des semaines, comme le temps se gâtait, il fallait faire des kilomètres pour trouver de quoi nourrir mes petits. Ce jour-là je cheminais à grands pas quand j’aperçus au détour d’une sente une ombre rouge et mouvante. J’approchai sans bruit, les oreilles aux aguets, et reconnus la petite fille encapuchonnée que j’avais déjà croisée il y a quelques semaines au début du printemps. La pimprenelle était appétissante, ma foi, et ferait un excellent et abondant souper pour les louveteaux. Je m’élançai, croquai la gamine, que j’avalai finalement en entier. Je n’aurai plus qu’à régurgiter pour nourrir ma petite famille.

de la maison :

Le soleil déclinait et mon ombre devenait de plus en plus grande et plus sombre. Le salon où sommeillait Mère-Grand n’était pas encore éclairé. J’aperçus un point rouge au bout de la clairière. C’était le Petite Chaperon Rouge qui arrivait en chantant. Je la vis actionner la chevillette, entrer chez moi et s’approcher de Mère-Grand, quand soudain un grand nuage noir obscurcit le ciel en même temps qu’un « hou hou » retentit. C’était un loup. J’eus alors un funeste pressentiment : un drame allait peut-être se jouer entre mes quatre murs. Heureusement Monsieur de la Fontaine est arrivé et m’assura que, grâce à son talent de conteur, ce serait une fin heureuse. J’étais très contente de ne pas être le lieu d’un drame.

de la grand-mère :

J’avais décidé de rester dans la maison, alors que j’étais vieille. J’habitais au bord de la forêt dans un petit village. Heureusement ma fille et ma petite-fille venaient me rendre visite, me proposaient même de faire mes courses le dimanche, souvent ma petite-fille m’apportait une galette avec du lait ou du beurre. Elle avait juste le bois à traverser. Depuis quelques temps les loups étaient protégés, et avaient investi la forêt. Ça m’inquiétait mais ma petite-fille assurait qu’on ne courait aucun danger.

Elle avait tort. Effectivement dimanche dernier, j’ai vu ma petite-fille, suivie d’un loup gros et gras, qui s’est jeté sur moi et m’a avalée en une seule bouchée. Autant dire que je n’ai pas pu goûter à la galette. Une fois dans le ventre du loup, j’ai tapé dans tous les sens, j’ai crié. Le Loup ne bougeait pas d’un poil. Heureusement le voisin m’a entendue, il est arrivé avec son grand couteau, a ouvert le ventre du loup. J’ai pu sortir de ses entrailles obscures et peu confortables. Un loup de moins… mais que faire si ça se reproduisait ?

du chasseur :

Ce jour-là, j’avais fait des kilomètres, j’étais parti vers cinq heures, il faisait à peine jour. J’aime bien voir le jour se lever dans la forêt, les bruits changer, surtout le moment où tout se tait. J’étais passé près de chez Mère-Grand, ses volets étaient fermés, la chevillette était mise. Dans le sous-bois, j’ai vu des pieds de mouton, des chanterelles, des trompettes de la mort, mais pas le plus petit marcassin. Le gibier avait dû être chassé par la petite en fouge que j’ai entendu chanter à tue-tête vers le Rond du Chêne. J’ai fait des kilomètres pour rien, ou presque. En rentrant, avec des champignons plein ma besace, je repasse devant chez Mère-Grand et voilà-t-y pas que la chevillette est chue, pourtant ses volets sont toujours fermés. Je m’approche, je passe une tête et je trouve un gros chien affalé sur la descente de lit, qui ronfle. Il est difforme, avec un ventre énorme. De sa gueule entrouverte, pend une langue flasque et un bout de tissu rouge dépasse entre ses crocs. Voilà bien que je reconnais le vêtement de la gosse. Ni une ni deux, je sors mon couteau de chasse, je lui ouvre la panse, à la bête, pas à la môme, et qui c’est qui en sort ? Mère-Grand, toute habillée, enfin en chemise et bonnet de nuit, et sa petite-fille. J’envoie la petite chercher de la caillasse que je lui mets dans le bide, à la bête, bien sûr, et je lui recouds le bidon, sans anesthésie. Quand il s’est réveillé, le chien, il faisait moins le malin. Il est parti ventre-à-terre, si je puis dire, tellement les cailloux lui pesaient sur l’estomac. Il était vraiment gros. Je crois pas que c’était un chien, finalement, c’était peut-être bien un loup.